lundi 18 juin 2012

Friedrich Nietzsche: « Loisirs et oisiveté »


Le Gai Savoir

329.

Loisirs et oisiveté. — Il y a une sauvagerie toute indienne, particulière au sang des Peaux-Rouges, dans la façon dont les Américains aspirent à l’or ; et leur hâte au travail qui va jusqu’à l’essoufflement — le véritable vice du nouveau monde — commence déjà, par contagion, à barbariser la vieille Europe et à propager chez elle un manque d’esprit tout à fait singulier. On a maintenant honte du repos : la longue méditation occasionne déjà presque des remords. On réfléchit montre en main, comme on dîne, les yeux fixés sur le courrier de la Bourse, — on vit comme quelqu’un qui craindrait sans cesse de « laisser échapper » quelque chose. « Plutôt faire n’importe quoi que de ne rien faire » — ce principe aussi est une corde propre à étrangler tout goût supérieur. Et de même que toutes les formes disparaissent à vue d’œil dans cette hâte du travail, de même périssent aussi le sentiment de la forme, l’oreille et l’œil pour la mélodie du mouvement. La preuve en est dans la lourde précision exigée maintenant partout, chaque fois que l’homme veut être loyal vis-à-vis de l’homme, dans ses rapports avec les amis, les femmes, les parents, les enfants, les maîtres, les élèves, les guides et les princes, — on n’a plus ni le temps, ni la force pour les cérémonies, pour la courtoisie avec des détours, pour tout esprit de conversation, et, en général, pour tout otium. Car la vie à la chasse du gain force sans cesse l’esprit à se tendre jusqu’à l’épuisement, dans une constante dissimu­lation, avec le souci de duper ou de prévenir : la véritable vertu consiste maintenant à faire quelque chose en moins de temps qu’un autre. Il n’y a, par conséquent, que de rares heures de loyauté permise : mais pendant ces heures on est fatigué et l’on aspire non seulement à « se laisser aller », mais encore à s’étendre lourdement de long en large. C’est conformément à ce penchant que l’on fait maintenant sa correspondance ; le style et l’esprit des lettres seront toujours le véritable « signe du temps ». Si la société et les arts procurent encore un plaisir, c’est un plaisir tel que se le préparent des esclaves fatigués par le travail. Honte à ce contentement dans la « joie » chez les gens cultivés et incultes ! Honte à cette suspicion grandis­sante de toute joie ! Le travail a de plus en plus la bonne conscience de son côté : le penchant à la joie s’appelle déjà « besoin de se rétablir », et commence à avoir honte de soi-même. « On doit cela à sa santé » — c’est ainsi que l’on parle lorsque l’on est surpris pendant une partie de campagne. Oui, on en viendra bientôt à ne plus céder à un penchant vers la vie contemplative (c’est-à-dire à se promener, accompagné de pensées et d’amis) sans mépris de soi et mauvaise conscience. — Eh bien ! autrefois, c’était le contraire : le travail portait avec lui la mauvaise conscience. Un homme de bonne origine cachait son travail quand la misère le forçait à travailler. L’esclave travaillait accablé sous le poids du sentiment de faire quelque chose de méprisable : — le « faire » lui-même était quelque chose de méprisable. « Seul au loisir et à la guerre il y a noblesse et honneur » : c’est ainsi que parlait la voix du préjugé antique !

mercredi 29 février 2012

Commentaire de la décision du Conseil constitutionnel n° 2012-647 DC du 28 février 2012

Décision n° 2012-647 DC du 28 février 2012:
Loi visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides établis par la loi

La proposition de loi visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides établis par la loi a été adoptée par l'Assemblée nationale le 22 décembre 2011 et par le Sénat le 23 janvier 2012 (1). La finalité de cette proposition de loi est, selon les termes employés par le Conseil constitutionnel dans sa décision 2012-647 DC (2),  de réprimer « la contestation de l'existence et de la qualification juridique de crimes »  reconnus par le législateur lui-même. En l'espèce, cette proposition de loi concerne plus particulièrement le génocide qui, entre 1915 et 1916, entraîna la mort de plus d'un million d'arméniens. Cette proposition de loi s'inscrit dans le sillage des autres lois dites « mémorielles »:
  • Loi « Gayssot » du 13 juillet 1990sur la condamnation de la contestation de l'existence de crimes contre l'humanité.
  • Loi du 29 janvier 2001, reconnaissant publiquement le génocide arménien.
  • Loi « Taubira » du 21 mai 2001, reconnaissant la traite des nègres comme un crime contre l'humanité.
  • Loi du 23 février 2005, reconnaissant en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer. 
Conformément à la procédure prévue par l'article 61 alinéa 2 de la Constitution, 60 députés et 60 sénateurs ont saisi le Conseil constitutionnel  le 31 janvier 2012. Les moyens des requérants sont exposés au troisième considérant de la décision:
  • Article 8 de la DDHC de 1789 (3): méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines, et méconnaissance du principe de nécessité des peines.
  • Article 11 de la DDHC de 1789: méconnaissance du principe de libre communication des pensées et des opinions.
  • Article 16 de la DDHC de 1789: méconnaissance du principe de séparation des pouvoirs et donc des compétences du pouvoir législatif.
  • Article 4 de la Constitution de 1958 (4): méconnaissance du principe selon lequel les partis exercent leur activité librement.
  • Corrélativement, méconnaissance du principe de liberté de la recherche.
  • Méconnaissance du principe d'égalité  « en réprimant seulement, d'une part, les génocides reconnus par la loi française et, d'autre part, les génocides à l'exclusion des autres crimes contre l'humanité  ».
Le quatrième considérant se borne à rappeler l'objet de la loi, c'est-à-dire sa finalité première, à partir du corpus constitutionnel et notamment de l'article 6 de la DDHC de 1789. Ainsi, en estimant que « sous réserve de dispositions particulières prévues par la Constitution, la loi a pour vocation d'énoncer des règles et doit par suite être revêtue d'une portée normative », le Conseil constitutionnel entend examiner la loi qui lui est déférée selon ses canons jurisprudentiels sur la qualité de la loi. En effet, ce principe est directement hérité de la décision n° 2004-500 DC du 29 juillet 2004 « Loi organique relative à l'autonomie financière des collectivités locales ». Cette décision trouve son prolongement naturel dans la décision n° 2005-512 DC du 21 avril 2005 « Loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école » dont le neuvième considérant est resté célèbre pour avoir posé que « le principe de clarté de la loi (découlant de l'article 34 de la Constitution) et l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi (découlant des articles 4, 5, 6 & 16 de la DDHC de 1789) imposent d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d’arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi ». Par cette jurisprudence, le Conseil constitutionnel a entendu, d'une part, mettre en garde le législateur contre la dégradation substantielle de la loi et, d'autre part, selon Jean-Marc Sauvé (Vice-Président du Conseil d'État), l'inciter à « utiliser pleinement les outils qui permettent de ne pas faire figurer dans les lois des dispositions sans portée normative » afin d'améliorer la qualité de la loi, c'est-à-dire « redonner à la loi toute sa signification et sa valeur, toute son autorité ».

En partant de la collation entre l'article 11 de la DDHC de 1789 (5) et l'article 34 de la Constitution (6), le Conseil constitutionnel reconnaît « que, sur ce fondement, il est loisible au législateur d'édicter des règles concernant l'exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, d'écrire et d'imprimer ; qu'il lui est également loisible, à ce titre, d'instituer des incriminations réprimant les abus de l'exercice de la liberté d'expression et de communication qui portent atteinte à l'ordre public et aux droits des tiers ». À l'évidence, le Conseil constitutionnel n'entend pas, par cette décision, autoriser n'importe quel discours au nom de la liberté d'expression. Le recours à la théorie de l'abus de droit permet de poser deux limites par ailleurs fort bien établies en droit français: l'ordre public et les droits des tiers. Par ailleurs, la présente décision est rendue au visa de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (7) qui condamne déjà, notamment, les délits de presse, la diffamation et l'injure (article 29, 33, 34...), ainsi que de nombreuses manifestations haineuses comme, par exemple, le racisme ou l'apologie des crimes contre l'humanité (article 24). Par conséquent, le principe qui sera dégagé par le Conseil constitutionnel devra être apprécié par rapport aux dispositions préexistantes. Cela est nécessaire afin de désamorcer d'emblée une critique commune à certains défenseurs de cette proposition de loi et selon laquelle le Conseil constitutionnel rendrait ici une décision d'opportunité sur une loi controversée. Eu égard à l'état du droit positif (plutôt strict par rapport aux abus de la liberté d'expression), cette objection est aussi fallacieuse qu'inopérante. Dès lors, le Conseil constitutionnel a pu dégager le principe suivant: « que, toutefois, la liberté d'expression et de communication est d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés ; que les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi ».

Le quatrième considérant pose le principe qui, consécutivement à son application dans le sixième considérant, est à l'origine de la solution dégagée par le Conseil constitutionnel: « Considérant qu'une disposition législative ayant pour objet de « reconnaître » un crime de génocide ne saurait, en elle-même, être revêtue de la portée normative qui s'attache à la loi (...) ». Corrélativement, le Conseil constitutionnel ajoute « qu'en réprimant ainsi la contestation de l'existence et de la qualification juridique de crimes qu'il aurait lui-même reconnus et qualifiés comme tels, le législateur a porté une atteinte inconstitutionnelle à l'exercice de la liberté d'expression et de communication ». Ainsi, d'une part, le Conseil constitutionnel n'entend donner aucun caractère normatif à une disposition législative qui se bornerait à reconnaître a posteriori un crime de génocide et, d'autre part, considère que la répression de la contestation d'un génocide, dont l'existence s'avère reconnue a posteriori par la loi, est frappée d'inconstitutionnalité.


  1. Proposition de loi visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi, adoptée sans modification en 1ère lecture par le Sénat le 23 janvier 2012 , TA n° 52
  2. Décision n° 2012-647 DC du 28 février 2012 - Loi visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi [Non conformité totale]
    + Consulter le communiqué de presse
  3. Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, faisant partie du bloc de constitutionnalité depuis la décision « Taxation d'office »  du Conseil constitutionnel n° 73-51 DC du 27 décembre 1973
  4. Constitution du 4 octobre 1958, à jour de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008
  5. Article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789:  « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi »
  6. Article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958:  « La loi fixe les règles concernant (...) les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques (...) » (Texte intégral)
  7. Loi du 29 juillet 1881 dans sa version consolidée du 21 mai 2011

lundi 23 janvier 2012

La Volonté de puissance chez Nietzsche

« Le secret de récolter la plus grande fécondité, la plus grande jouissance de l'existence, consiste à vivre dangereusement ! »
(Friedrich Nietzsche, Le Gai Savoir, §283, Hommes préliminaires)
  • La Volonté de puissance:  pierre angulaire de la philosophie de Nietzsche
La Volonté de puissance – « der Wille zur Macht » en allemand – est la clef de voûte du nietzschéisme. Ce concept fondamental est essentiel pour comprendre les mécanismes minutieux qui sous-tendent la pensée de Friedrich Wilhelm Nietzsche et lui confèrent une très grande cohérence d'ensemble.
De prime abord, il convient de mettre cette fabuleuse harmonie de la philosophie nietzschéenne en tension avec la pensée de Nietzsche lui-même. Dans le Crépuscule des Idoles (1888), Nietzsche dénonce l'esprit de système – que l'on retrouve par exemple chez d'immenses philosophes tels Saint Thomas d'Aquin, Spinoza, Kant ou encore Hegel – comme étant « un manque de probité ». Afin de bien saisir les enjeux de cette prise de position et de ne pas se méprendre sur la philosophie de Nietzsche en en faisant une pensée foncièrement anti-systémique, partons de la définition claire et lumineuse que fait Étienne Bonnot de Condillac du système philosophique.
Selon Condillac dans le Traité des systèmes (1749), « un système n'est autre chose que la disposition des différentes parties d'un art ou d'une science dans un ordre où elles se soutiennent mutuellement, et où les dernières s'expliquent par les premières ». Classiquement, l'idée de système philosophique va de pair avec l'idée d'une construction rigoureuse, méthodique et désincarnée. L'Éthique de Spinoza est, à cet égard, l'archétype de l'esprit de système: les définitions et les axiomes sont exposés au préalable afin d'en déduire des propositions, lesquelles sont développées par des démonstrations pouvant donner lieu à des corollaires (prolongements logiques des propositions) ou des scolies (notes interprétatives, philologiques, sur ce qui précède). Dans une lettre adressée à Overbeck, Nietzsche dira au sujet de Spinoza: « J'ai un précurseur, mais quel précurseur! ».
Or, chez Nietzsche, point de système en apparence: la pensée se déploie par le biais d'aphorismes comme autant d'éclairs dans le ciel de minuit. Nonobstant l'absence de système formel, la philosophie de Nietzsche conserve une profonde unité des premières œuvres (La Naissance de la tragédie (1871-1872), Vérité et mensonge au sens extra-moral (1873), Considérations inactuelles (1873-1876), etc.) jusqu'aux dernières (Par-delà bien et mal (1885), Généalogie de la morale (1886), Crépuscule des idoles (1887), L'Antéchrist (1888), etc.).
Aussi, le fait de reconnaître l'unité de la pensée de Nietzsche à travers l'ensemble de son œuvre n'exclut pas, pour autant, de constater l'évolution de celle-ci. Sur le mode de la dialectique hégélienne, il est possible de considérer cette évolution comme étant à la fois un dépassement et une conservation des idées développées dans les premières œuvres. Cette mutation de la philosophie nietzschéenne, qu'il convient de mettre en relief avec la vie de Nietzsche lui-même et notamment par rapport à la dégradation de ses rapports avec Wagner, peut être remarquée dès Humain, trop humain (1878).
Le véritable tournant s'opère avec Aurore (1881) et trouve sa concrétisation dans Le Gai savoir (1882-1887): dès lors, le Nietzsche disciple de Schopenhauer n'est plus que l'ombre de Nietzsche lui-même. L'unité de la philosophie de Nietzsche est conservée grâce à la théorisation progressive de la Volonté de puissance. De par ce seul concept, Nietzsche va se distinguer du Conatus spinoziste dont le principe est résumé dans les propositions VI (« Chaque chose, selon sa puissance d'être (quantum in se est, cf. Descartes & Newton), s'efforce de persévérer dans son être. ») et VII (« L'effort (conatus) par lequel chaque chose s'efforce de persévérer dans son être n'est rien en dehors de l'essence actuelle de cette chose. ») de la troisième partie de L'Éthique.
Nietzsche va également se détacher du concept schopenhauerien de Wille zum Leben (« Volonté de vie ») tout en l'intégrant dans le concept de Wille zur Macht (« Volonté de puissance »). Ainsi, pour Nietzsche, la Volonté de puissance est la pierre angulaire de sa philosophie en ce qu'elle réconcilie – après que le marteau nietzschéen ait fait voler en éclats les idoles aux pieds d'argile – les dernières œuvres avec les premières, et ce, bien qu'imprégnées par l'influence de Wagner et de Schopenhauer.


« La force par laquelle l'homme persévère dans l'existence est limitée, et elle est surpassée infiniment par la puissance des causes extérieures. »
(Baruch Spinoza, L'Éthique, proposition III, De la servitude humaine)
  • La Volonté de puissance: un principe ontologique fondamental

Le 349ème paragraphe du Gai savoir permet de comprendre dans quelle mesure Nietzsche se distingue de Spinoza et de Schopenhauer en les intégrant puis en les dépassant dans un seul et même mouvement de pensée. Ce dépassement, comme il l'a été dit précédemment, se confond avec l'acte de naissance du concept de Volonté de puissance. Dès lors, Nietzsche s'oppose à Spinoza dans la réponse qu'il apporte à cette question incontournable en philosophie: quel principe préside à l'accomplissement de toute chose?
Le fondement ontologique proposé par Spinoza est celui du Conatus, c'est-à-dire de la persévérance dans l'être, tel qu'exposé dans les propositions VI, VII et VIII de la troisième partie de L'Éthique. Nietzsche va refuser cette hypothèse tout en esquissant en creux la substance même du concept de Volonté de puissance: « Vouloir se conserver soi-même est l'expression d'une situation de détresse, d'une restriction apportée à l'impulsion vitale qui, de sa nature, aspire à une extension de puissance et par là même souvent met en cause et sacrifie la conservation de soi. Que l'on prenne ainsi pour un trait symptomatique chez certains philosophes tels que le phtisique Spinoza, s'ils voient dans l'instinct de conservation un principe décisif: – ce sont justement des hommes en détresse. » (Le Gai savoir, §349: Encore au sujet de l'origine des savants)
Ainsi, Nietzsche subordonne la conservation de soi-même à l'existence première de « l'impulsion vitale »: le Conatus n'est plus un principe ontologique fondamental mais seulement « l'expression d'une situation de détresse, d'une restriction apportée à l'impulsion vitale ». Nietzsche ne va pourtant pas jusqu'à rejeter l'existence même du Conatus: il se contente de le déclasser afin de l'intégrer dans un plus grand ensemble dont il n'est qu'une des modalités. Ce plus grand ensemble est celui de « l'impulsion vitale » qui, pour être appréhendée, trouvera son assise théorique dans la Volonté de puissance. En effet, Nietzsche considère que c'est « l'impulsion vitale qui, de sa nature, aspire à une extension de puissance et par là même souvent met en cause et sacrifie la conservation de soi »: l'impulsion vitale est donc, en son essence même, Volonté de puissance.


« Je ne vois dans tout animal qu’une machine ingénieuse, à qui la nature a donné des sens pour se remonter elle-même, et pour se garantir, jusqu’à un certain point, de tout ce qui tend à la détruire, ou à la déranger. J’aperçois précisément les mêmes choses dans la machine humaine, avec cette différence que la nature seule fait tout dans les opérations de la bête, au lieu que l’homme concourt aux siennes, en qualité d’agent libre. L’un choisit ou rejette par instinct, et l’autre par un acte de liberté ; ce qui fait que la bête ne peut s’écarter de la règle qui lui est prescrite, même quand il lui serait avantageux de le faire, et que l’homme s’en écarte souvent à son préjudice. »
(Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, partie I)
  • La Volonté de puissance: un mécanisme intrinsèque à la vie

Partant de l'idée selon laquelle l'extension de puissance, à laquelle l'impulsion vitale aspire de par sa propre nature, est susceptible de mettre en cause et de sacrifier la conservation de soi, Nietzsche nous offre la possibilité d'appréhender la vie dans toute sa complexité ainsi que dans ses aspects les plus contradictoires grâce à l'assise théorique conférée par le concept de Volonté de puissance. Effectivement, comment comprendre la vie lorsque celle-ci peut aller jusqu'à rechercher son propre anéantissement, c'est-à-dire jusqu'à rechercher la négation de la vie elle-même?
Ici, Nietzsche nous montre les limites de la réponse philosophique conventionnelle consistant à dire, comme Rousseau dans le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes (1755), que c'est en raison de sa qualité d'agent libre que l'homme (et l'homme seul) peut aller jusqu'à s'autodétruire. La réponse apportée par Nietzsche à cette question est beaucoup plus profonde. Elle retrouve, d'une certaine manière, une réflexion d'ores et déjà menée par Blaise Pascal dans les Pensées (1670): « Tous les hommes recherchent d'être heureux. Cela est sans exception, quelques différents moyens qu'ils y emploient. Ils tendent tous à ce but. Ce qui fait que les uns vont à la guerre et que les autres n'y vont pas est ce même désir qui est dans tous les deux, accompagné de différentes vues. La volonté ne fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C'est le motif de toutes les actions de tous les hommes. Jusqu'à ceux qui vont se pendre. »
Chez Nietzsche, ce n'est pas la recherche du bonheur en soi qui conditionne la possibilité de mettre en cause et de sacrifier la conservation de soi: c'est la vie elle-même en tant qu'elle recherche continuellement sa propre intensification. Ce faisant, Nietzsche dépasse également les théories fondées sur le caractère absolu de la liberté humaine. En effet, le concept de Volonté de puissance rend intelligibles les phénomènes s'apparentant au gaspillage sous toutes ses formes. Ainsi, plutôt que de considérer le gaspillage comme un phénomène uniquement irrationnel, Nietzsche nous permet d'y voir la conséquence d'un trop-plein de forces consécutif à une extension de puissance effrénée mais inhérente à la vie elle-même. Ce raisonnement est évidemment extensible aux conséquences du productivisme, telles que dénoncées par Karl Marx, dans une société fonctionnant sur le mode capitaliste: si la surproduction est inhérente à l'aspiration naturelle à une extension de puissance, elle est parallèlement préjudiciable au système lui-même.


« Quant la conscience atteint à son plus haut degré, c'est-à-dire chez l'homme, la douleur et la joie, par conséquent l'égoïsme, doivent, comme l'intelligence, s'élever à leur suprême intensité, et nulle part n'aura éclaté plus violemment le combat des individus, l'égoïsme en étant la cause. »
(Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation, livre IV, La volonté s'affirme puis se nie)
  • La Volonté de puissance: une hypothèse radicale

Par la suite, Nietzsche assimilera le darwinisme, en ce qu'il se fonde sur la « lutte pour l'existence », à une sorte de compromission avec le « dogme spinoziste ». Aussi, et contrairement à une idée malheureusement trop répandue, le concept de Volonté de puissance n'a rien à voir avec la légitimation, chez l'Homme, d'une quelconque volonté de domination que devraient naturellement avoir les plus forts à l'égard des plus faibles. On impute également au darwinisme de tels desseins. Or il ne s'agit là que d'une interprétation fallacieuse des thèses de Darwin, lequel s'est pourtant farouchement opposé à toute forme d'eugénisme et d'élimination des éléments les plus faibles de la société car cela serait mettrait gravement en péril un instinct fondamental de sympathie sociale participant justement à la préservation de l'espèce humaine. D'ailleurs, Nietzsche lui-même ne tombera pas dans ce piège et s'efforcera de critiquer les thèses de Darwin à l'aune de la Volonté de puissance: « Mais en tant que savant dans le domaine des sciences de la nature, on devrait savoir sortir de son réduit humain: dans la nature ce n'est point la détresse qui règne, mais l'abondance, le gaspillage, même jusqu'à l'absurde ».
Ce faisant, Nietzsche va prolonger sa réflexion au-delà des thèses spinozistes et darwiniennes et ainsi confronter son concept de Volonté de puissance à la Volonté de vie présente chez Schopenhauer: « La lutte pour l'existence n'est qu'une exception, qu'une provisoire restriction de la volonté de vivre: la petite comme la grande lutte pour l'existence gravitent sous tous rapports autour de la prépondérance, de la croissance, de l'expansion, conformément à la volonté de puissance qui est justement volonté de vie. »
Nietzsche intègre le vocabulaire de Schopenhauer mais dans un sens qui lui est propre. La « volonté de vie » exposée par Nietzsche n'est plus une lutte pour la domination ou une lutte pour la vie, elle est la vie qui se veut elle-même, elle est la vie qui recherche sa propre intensification. Ainsi, Nietzsche se distingue de Schopenhauer et récuse par là-même le pessimisme « nihiliste » qui découle de sa conception du « vouloir-vivre » et selon lequel l'homme serait inéluctablement amené à osciller entre la souffrance qu'entraîne l'impossibilité de satisfaire un désir et l'ennui qu'entraîne la satisfaction d'un désir.
Chez Nietzsche, la Volonté de puissance n'est donc pas volonté de domination ou de pouvoir mais volonté de volonté: elle est la volonté qui recherche l'intensification de sa puissance intrinsèque. Ainsi appréhendée, la Volonté de puissance doit être considérée comme le principe premier de la vie.

dimanche 20 mars 2011

La philosophie est une méta-discipline de la connaissance objective

 « Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence. »
(Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, 7.)
Le caractère singulier de la philosophie réside dans le fait que l'on ne saurait l'assimiler à quelque autre forme de connaissance que ce soit. Que l'on en soit conscient ou non, il y a philosophie toutes les fois qu'il y a connaissance. L'appréhension du réel ne se fait pas ex-nihilo mais induit une ontologie implicite. Connaître une chose revient inévitablement à déterminer un domaine de définition dans lequel la chose en question pourra être située. Situer l'objet que l'on cherche à connaître permet de l'ancrer dans une matrice de présupposés. Le présupposé est un référentiel: il fixe des constantes grâces auxquelles la matrice se tient, acquiert un sens et permet ainsi de représenter une chose au-delà de l'intuition. En somme, l'intuition est transcendée par la contextualisation, de sorte que connaître une chose n'est possible qu'en la replaçant dans un domaine de définition.

La finalité de l'activité philosophique est de déterminer l'essence des référentiels, ou propositions atomiques, à partir desquels tout système de connaissance se tient. Vient ensuite la nécessité d'accorder ces référentiels entre-eux afin qu'ils forment une matrice cohérente dont les fondements et les limites sont apparents. Dès lors, la connaissance n'est plus isolée, particulière voire relative: elle se tient dans un contexte qui détermine sa valeur, son sens et sa portée. C'est en cela que la philosophie peut être définie comme étant la discipline à partir de laquelle se fondent toutes les autres. Si l'on devait se représenter la place de la philosophie dans la hiérarchie de la raison humaine, elle serait le sommet d'une pyramide qui ne cesse de s'étendre. Ainsi, la philosophie est une méta-discipline dont les ramifications sont à priori susceptibles de se prolonger à l'infini.

Appréhendée comme il suit, l'activité philosophique apparaît comme inéluctablement rationnelle. C'est en cela qu'elle se distingue d'autres méta-disciplines possibles mais qui ne relèveraient toutefois pas de la connaissance objective. Par connaissance objective, entendons l'ensemble des représentations mentales intégrées à une matrice prédéterminée. Dès lors, toute représentation, pour être objective, doit dépendre de propositions premières de nature relative. Le caractère relatif des référentiels d'une matrice tient à ce que ceux-ci doivent fixer l'étendue et les limites de la connaissance possible. Ainsi, la faculté de connaître peut prospérer sous le règne de l'expérience tout en intégrant les données brutes du sensible. Il est manifeste que l'expérience peut errer, que les sens sont eux-mêmes limités mais aussi que le monde s'exprime au travers du prisme de la conscience. Dans cette optique, le fait d'essayer de connaître une chose tout en ayant conscience des limites de cette connaissance même est fondamental.

Les fruits de la connaissance objective sont eux-mêmes le fruit d'un contexte. Reconnaître qu'une chose ne peut pas être connue de façon sûre, ne serait-ce que de façon provisoire ou méthodologique, est donc hautement préférable aux vérités trop sublimes qui donnent l'impression de se suffire à elles-mêmes. Par conséquent, l'activité philosophique est de favoriser tant l'essor de nouveaux champs de la connaissance du réel que l'éviction des conceptions fallacieuses qui sédimentent l'esprit.

vendredi 29 octobre 2010

Qu'est-ce que l'Athéisme?

Propos liminaire


Après avoir défini ma conception de la philosophie, je souhaite dès à présent traiter de l'Athéisme et opérer un véritable retour aux sources. Si beaucoup se disent Athées, combien parmi-eux connaissent réellement toute la portée de cette philosophie? L'Athéisme se distingue tant de la croyance que de l'incroyance: c'est une tabula rasa.


Être Athée, c'est accepter l'émerveillement.


Qu'est-ce que l'Athéisme?


L'Athéisme sera défini négativement et positivement.




I. Définition négative de l'athéisme


Avant d'entreprendre une définition essentielle de l'Athéisme, je souhaite de prime abord distinguer l'Athéisme des idéologies dont il se distingue substantiellement. Cette distinction me paraît nécessaire dans la mesure où les critiques dirigées à l'égard de l'Athéisme partent d'une confusion sur l'essence même de cette doctrine. Ainsi, l'Athéisme est souvent confondu avec une pluralité d'idéologies: l'anticléricalisme, le scepticisme, le dogmatisme, le scientisme, l'agnosticisme et l'incroyance.


  • L'Athéisme contre l'anticléricalisme
L'Athéisme se distingue très nettement de l'anticléricalisme en ce que, d'une part, il promeut l'ouverture d'esprit et que, d'autre part mais consubstantiellement, il récuse toute forme de sectarisme. Or l'anticléricalisme est une idéologie fondamentalement intolérante et perverse puisqu'elle rejette violemment toute interpénétration entre le phénomène religieux et la société. L'Athéisme ne confine pas, contrairement à nombre d'idées reçues, au rejet de la religion: l'Athéisme existe en-dehors de la religion. L'Athéisme est justement isolé du phénomène religieux. La religion n'a aucune incidence ni même aucune emprise sur l'Athéisme. Et si l'Athéisme peut évidemment conduire à une critique de la religion, sa finalité n'est pas de s'opposer à la religion et au clergé. En ce sens, l'Athéisme est certes en-dehors du phénomène religieux mais il est également au-delà de celui-ci.

  • L'Athéisme contre le scepticisme
Si l'Athéisme consistait à refuser toute vérité stable, alors l'Athéisme n'aurait en lui-même rien de certain. L'Athéisme n'est pas non plus formellement opposé au scepticisme car la doctrine sceptique trouve écho dans la méthode Athée. Et si l'Athéisme refuse d'admettre le scepticisme comme une fin en soi, c'est manifestement parce qu'il en fait un moyen et qu'il l'intègre pleinement dans sa méthode. L'Athée se doit dans un premier temps de tout remettre en cause, y compris son propre Athéisme. Cette étape est nécessaire. Elle permet d'évacuer les préjugés, les conceptions fallacieuses et les raisonnements trop imbus de leur perfection pour être bien fondés. Ainsi, l'Athéisme dompte le scepticisme afin d'en faire un instrument au service de la seule vérité.


  • L'Athéisme contre le dogmatisme
De par sa nature, l'Athéisme est la négation la plus radicale du dogmatisme. Il se distingue en effet tant du scepticisme que du dogmatisme. Mais à la différence de la doctrine sceptique, le dogmatisme ne fait l'objet d'aucune forme d'appropriation par l'Athéisme. En réalité, l'Athéisme naît de la volonté de séparer la vérité du dogme à partir du critère d'identité qui lui-même se décompose en deux branches fondamentales: l'ipséité et l'eccéité. À titre d'exemple, considérer que 2 + 2 = 4 ou que le support fonctionnel de la vue chez l'homme est l'œil n'est pas un dogme. C'est une vérité car, contrairement au dogme, elle repose sur une réalité invariable et constatable. La vérité obéit d'une part à l'ipséité (du latin: la chose en elle-même) car elle est constante et immuable, et d'autre part à l'eccéité (du latin: ici) car elle est réelle et vérifiable. Le dogme, s'il est évidemment immuable, ne possède toutefois pas l'eccéité. Il repose dans le vide de l'abstraction, dans l'imagination métaphysique. Dès lors, l'Athéisme est un anéantissement du dogme et une consécration du réel. L'Athéisme est un retour à la réalité.


  • L'Athéisme contre le scientisme
La dérive scientiste est peut-être la plus dangereuse pour l'Athée car elle est d'autant plus aisée que destructrice. Oui: la Science est un émerveillement et l'Athée risque tristement de succomber à sa beauté au point de la pervertir dans sa nature. L'Athéisme considère la Science comme un moyen fondamental et donc indispensable. Évidemment, la tentation est grande d'ériger ce moyen en fin. Cependant, du point de vue de l'Athéisme, la Science est une discipline objective, neutre et dénuée de tout sens moral ou éthique. Il serait donc totalement absurde d'ériger la Science en finalité et cela ne pourrait se faire sans l'affubler de caractéristiques qui ne lui sont pas intrinsèquement propres. En conséquence, la Science serait détournée et dénaturée tandis l'Athéisme perdrait toute sa substance en ne devenant finalement qu'une forme de croyance parmi tant d'autres. Il y aurait là une négation manifeste de sa nature et l'Athéisme cesserait d'être.


  • L'Athéisme contre l'agnosticisme
L'agnosticisme est une doctrine hautement corrompue en ce qu'elle induit, de par sa nature, une forme de relativisme plus ou moins prononcée. Ce qui distingue irréversiblement l'Athéisme de l'agnosticisme est, en substance, que l'agnostique n'établit aucune différence formelle entre la vérité et le dogme. Or en s'abstenant de reconnaître toute forme de vérité (ou de dogme, puisqu'ils sont confondus), l'agnosticisme entre en contradiction avec sa propre doctrine. En effet, la volonté de ne point admettre de vérité constante et immuable est bel et bien un dogme et peut-être le plus grossier de tous. L'Athéisme, en ce qu'il opère une distinction radicale entre ce qui relève du domaine de la vérité et ce qui relève du dogme, est fondamentalement et intrinsèquement opposé à l'agnosticisme et plus généralement à toute doctrine relativiste.


  • L'Athéisme contre l'incroyance
Il est courant de constater que l'Athéisme est confondu avec le fait de croire en l'inexistence du divin ou, plus radicalement, de ne pas croire en la divinité. En vérité, il y a là un amalgame considérable. L'Athéisme n'est ni l'antithéisme, ni l'incroyance. L'Athéisme se situe en-dehors du schéma mental de la croyance surnaturelle. Et c'est en ce sens qu'il n'est pas une simple croyance. De fait, l'Athéisme n'est pas une doctrine nihiliste. L'Athéisme n'opère aucune inversion des valeurs. L'Athéisme n'oppose pas la Terre au Ciel, le monde naturel au monde surnaturel, l'immanent au transcendant, le phénomène au noumène... L'Athéisme est une philosophie moniste, elle est un retour à la réalité. Par conséquent, l'Athéisme ne saurait être confondu avec l'incroyance puisque situés à des degrés de pensée différents.




II. Définition positive de l'Athéisme


Après avoir brièvement montré en quoi l'Athéisme pouvait se distinguer d'un certain nombre de doctrines ou de schémas de pensée, je me propose désormais de considérer l'Athéisme en tant que philosophie à part entière afin d'en révéler les principales caractéristiques. L'Athéisme se caractérise par le rejet de l'anthropomorphisme, le retour au réel et la finalité pratique.


  • L'Athéisme, une négation de l'anthropomorphisme
 L'Athéisme se caractérise par un rejet de toute connaissance dérivant de l'anthropomorphisme, c'est-à-dire de cette tendance qui consiste à calquer à l'objet que l'on cherche à étudier des attributs ou des comportements spécifiquement humains. La connaissance bien-fondée doit être objective et ne reposer que sur des éléments vérifiables. Elle doit se détacher de la spéculation métaphysique qui érige des systèmes rationnels complexes à partir de dogmes totalement subjectifs et arbitraires. En ce sens, l'Athéisme est une arme contre les discours sophistiques et spéculatifs. En rejetant l'anthropomorphisme, l'Athéisme rejette également tout anthropocentrisme: l'homme, aussi complexe soit-il, n'est ni le centre de l'univers, ni le centre de toute connaissance. Dès lors, l'Athéisme se propose de bâtir la philosophie autour du réel, de la réalité et du monde pris dans son entière diversité.

  • L'Athéisme, un retour au réel
 Le retour au réel consiste en une vision moniste du monde et de ses objets. L'essence de la réalité est une et indivisible: elle est la réalité prise en tant qu'elle-même. L'Athéisme conçoit le monde selon ce principe d'unicité qui est le seul garant du critère de vérité des choses. Il n'y a rien à opposer à la réalité elle-même. Certes, la complexité du réel est susceptible de décourager quiconque prétendrait en une vie vouloir en décrire tous les ressorts, mais cela ne doit nullement nous pousser à imaginer un degré de réalité supérieur qui serait susceptible d'apporter quelque lumière dans les apparentes ténèbres du réel. Songeons un instant à ce mélange de beauté et de complexité qu'est, par exemple, le vivant. L'Athéisme se propose de connaître le vivant sans jamais recourir à une forme de réalité qui lui serait supérieure, car la complexité même du vivant suffit infiniment à la curiosité et à l'émerveillement. Il en va effectivement de même pour tout ce qui compose l'univers, et même de l'univers pris dans sa globalité. L'Athéisme est donc aux antipodes du nihilisme, du relativisme et du dogmatisme. Ainsi, le retour au réel est le fondement même de la philosophie Athée.
  • L'Athéisme, une philosophie pratique
La finalité pratique est au cœur de l'Athéisme. Que serait, en effet, une connaissance dépourvue d'intérêt? Et inversement, que serait une connaissance produite dans la seule finalité pratique? C'est dans cet équilibre que se situe toute la doctrine Athée. La connaissance bien-fondée s'acquiert par l'habile conjugaison de l'esprit critique et de l'esprit de synthèse. Originellement, la connaissance doit être objective, froide et impersonnelle. L'Athéisme s'inscrit dès lors dans une quête de sens à partir de la seule réalité objective. Ainsi, l'Athéisme est une philosophie dont l'humilité vis-à-vis du monde l'amène à élaborer une morale, une éthique et une politique de l'immanence afin de conduire l'Humanité vers un degré de sagesse et de perfectionnement toujours plus élevé.

lundi 25 octobre 2010

Qu'est-ce que la philosophie?

Thémis sera le symbole de cette nouvelle philosophie que j'espère féconde.  


Qu'est-ce que la philosophie? Cette question est au commencement de toute expérience, de toute entreprise philosophique. Elle est aussi, pour de nombreux philosophes, la question qui se pose en dernier ressort, c'est-à-dire lorsque l'on se retire de la philosophie (si retrait il y a). S'interroger sur ce qu'est la philosophie permet, dans une certaine mesure, de délimiter les contours de la présente discipline. Or délimiter les contours de la philosophie, c'est justement philosopher.

Il n'est donc pas possible de donner une définition a priori de la philosophie sans commencer par philosopher. Ainsi, l'on pourrait aisément affirmer qu'il existe autant de conceptions de la philosophie qu'il existe de philosophes. Déterminer les limites et les caractères propres de la philosophie n'est toutefois pas nécessaire. Nombre d'auteurs philosophent sans pour autant définir formellement ce qu'ils entendent par philosophie. La philosophie est difficile à cerner, à déterminer et à définir dans son essence la plus profonde. Elle est en ce sens semblable à la vie. Il serait encore plus juste d'affirmer qu'elle est, a fortiori, inhérente et intrinsèque à la vie. La philosophie est au cœur de la vie tout comme la vie est au cœur de la philosophie.

Avant d'entreprendre toute démarche philosophique, je souhaite révéler quelle est ma conception de la philosophie et, plus précisément, par quels moyens et à quelles fins j'entends philosopher. Cette démarche préalable n'a certes rien d'obligatoire, mais je l'estime en vérité absolument indispensable

J'ai l'intime conviction que la philosophie est une discipline inhérente et intrinsèque à la vie. Pour le dire autrement, la philosophie est un cercle dont le centre est la vie et dont la circonférence évolue à la mesure de celle-ci. Toutefois, je n'apprécie guère ces formules poétiques que l'on peut interpréter un peu trop librement et parfois dans des sens contraires et qui peuvent parfois cacher beaucoup de vide derrière l'écran teinté des mots. Si les images peuvent éclaircir la compréhension, ce n'est que lorsqu'elles sont claires et intelligibles. Que serait, en effet, une carte géographique sans légende appropriée? Ainsi, la philosophie est bien un cercle dans le sens où elle part d'une délimitation volontaire de ses propres contours à partir d'un point constant: la vie. Sans vie, point de philosophie; l'inverse est cependant faux. La philosophie est strictement humaine mais elle ne doit pas se centrer sur l'Homme ou l'Humanité car, manifestement, l'anthropocentrisme replierait la philosophie sur son auteur et sur elle-même. Or la philosophie, puisqu'elle se sait vulnérable, ne saurait se satisfaire de certitudes préétablies: là est donc sa plus grande force. Elle s'écarte tant du dogmatisme que du scepticisme et tant de la suffisance que de l'insuffisance. Elle aspire à l'objectivité, à la rationalité et à la connaissance bien fondée, de sorte que s'il est concevable de construire une philosophie en-dehors de l'inertie de la vie, cela ne peut s'obtenir sans concessions sur les présentes aspirations. Or que serait une philosophie subjective, irrationnelle et aléatoire dans ses conclusions sinon la négation même de la philosophie?

Je conçois donc la philosophie comme une méthode, une discipline et une démarche.

Tout d'abord, la philosophie est une méthode. Elle procède avec prudence et circonspection. Ainsi, l'erreur n'est jamais fatale pour qui sait la reconnaître et la dépasser. D'ailleurs, la philosophie se construit généralement sur des erreurs premières qu'elle affine au gré de ses conclusions. Et c'est parce qu'elle avance avec rigueur qu'elle sait également détecter ses propres illusions. La philosophie naît quelquefois de l'intuition et toujours de l'expérience. Elle se construit avec l'appui nécessaire de la raison sans toutefois être aveugle des dérives de celle-ci. Ainsi, la philosophie est une méthode rationnelle.

Ensuite, la philosophie est une discipline parce qu'elle n'est pleinement elle-même que lorsqu'elle se sait originellement ignorante. Il découle de ce postulat d'ignorance primitive la nécessité de fonder toute connaissance véritable grâce à l'esprit critique. Dès lors, toute chose a priori évidente doit être questionnée et toute question doit être elle-même sans cesse repensée. La vraie philosophie va ainsi préférer à la connaissance mal fondée l'ignorance la plus absolue et aux aprioris fallacieux l'abstention totale du jugement. Elle sait aussi se méfier des croyances suspectes et récuse toute superstition. Elle préfère également aux grandes révolutions de la pensée qui s'estiment invincibles les progrès les plus ténus mais les plus sûrs. La philosophie est une discipline d'humilité.

Enfin, la philosophie est une démarche. Philosopher, c'est avant tout être capable de penser par soi-même, de se libérer des conceptions fausses et, certes, de s'inspirer des idées les plus justes mais pour toujours les dépasser. La philosophie est un itinéraire de perfectionnement. Et si elle n'a pas pour prétention d'atteindre une connaissance parfaite et absolue de ses objets, elle en détermine au moins le parcours. En ce sens, la philosophie est une démarche de vérité.